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Archives 1997 © La Revue du Spectacle 10/10/97 - Début

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Gérard Biard - Depuis le temps que vous en parliez, qu'est-ce qui vous a finalement décidé à passer au théâtre ?
Bertrand Blier - Rien ne m'a décidé. Ça s'est fait. C'est bizarre. Je suis le premier étonné. Après la sortie de mon dernier film, j'étais un petit peu démoralisé. Je suis allé m'installer à la campagne, en me disant, maintenant le cinéma, ça me gonfle. Je me préparais à me lancer dans un roman. Et j'ai commencé à fouiller dans mes vieilles notes. Par réflexe de paresse, en me disant : le roman peut attendre, je vais voir s'il n'y a pas autre chose. A force de touiller dans mes notes, je suis tombé sur cette réplique qui était sur une page : "Je viens pour vous faire chier". Il y avait juste ça. Net de décoffrage. C'était une vieille idée que j'avais pour un film. Ça n'a l'air de rien mais ça porte beaucoup de choses.
Je me suis dit : tiens, je peux bien perdre un après-midi là-dessus. Puis ça m'a amusé, et j'ai perdu un deuxième après-midi... Mes notes sont souvent faites de choses, comme ça, que j'ai laissé tomber, la force n'étant pas au rendez-vous. Alors je les mets de côté, je les garde. Mais, là, ça marchait, les personnages se sont mis à exister. J'ai trouvé très vite l'histoire, avec Farida
[la femme de ménage dans la pièce]. J'ai su que j'avais une pièce. Je ne savais pas ce qu'il y aurait dedans, mais je savais qu'avec ces deux hommes amoureux d'une même femme, j'avais un thème. On part souvent avec moins que ça. Là, j'avais la liberté d'esprit pour en faire aussi bien du cinéma que de la littérature ou du théâtre. C'est le théâtre qui est venu. Il faut que les choses viennent au moment où elles doivent venir. C'est une pièce qui ne doit rien au calcul. C'est un truc d'amateur. Ce n'est pas une pièce écrite par un auteur dramatique. C'est une pièce écrite par un mec qui s'est dit : tiens, si j'écrivais une pièce.

G. B. - Comment avez-vous convaincu Noiret de remonter sur les planches ?
B. B. - Il n'y a pas eu de problème puisqu'il a adoré la pièce. Au théâtre, il faut vraiment payer de sa personne. Ce n'est pas comme au cinéma où l'on peut dire oui pour faire plaisir. Là, les acteurs portent tout sur leur dos. Aussi bien Bouquet que Noiret. Et Noiret avait une furieuse envie de faire cette pièce. Il n'avait pas envie spécialement de faire du théâtre. Il avait peut-être envie de se rafraîchir. C'est très émouvant de voir le bonheur qu'il a d'être sur scène.

G. B. - Et Michel Bouquet ?
B. B. - Bouquet, c'est formidable de le voir tous les jours. Il arrive avec une lueur maligne, frais comme un gardon. Il est comme un môme. Il prend un tel plaisir à dire des trucs drôles, des gros mots... Il n'avait jamais joué ce genre de choses à ma connaissance. Quand même, lui faire dire : "Je bande. Je bande toute la journée. Au moment où je vous parle, je bande !". Et il va s'asseoir tranquillement, avec la jambe un peu raide... Jamais je n'aurais pensé voir un jour Michel Bouquet faire ça. Et il se marre, il est content comme tout !

G. B. - Ça vous fait quel effet de savoir que, cette fois, vos dialogues, le public les prend directement dans la gueule, sans le rempart de l'écran ?
B. B. - C'est très intéressant. Je me suis aperçu qu'au cinéma, l'image durcit. Au théâtre, il y a quelque chose de plus sympa. Mon côté iconoclaste passe mieux. Et encore, j'y suis allé assez mou, je trouve.
Ça vient peut-être de Noiret. Avec un acteur fondamentalement sympathique, toutes les conneries qu'on peut lui faire dire deviennent sympathiques. Je n'avais jamais connu ça. J'ai eu l'habitude d'avoir des mecs comme Depardieu, des hards, qui rajoutent de la gomme derrière. Alors que là, cette présence débonnaire, les gens l'aiment. Il est sympathique, il sera toujours sympathique. Il peut essayer de faire un salaud, il n'y arrivera pas. Ou alors un salaud sympathique. Il y a une espèce de bonhomie entre la scène et le public. Bon, il y a des gens choqués, quand même. Mais, dans l'ensemble, c'est plus frais.
Je m'aperçois que le théâtre redonne une innocence aux choses que j'écris. Le fait que les acteurs soient là, devant nous, on est prêt à entendre plus de choses. Alors qu'au cinéma, il y a cette dictature de l'image. Là, il y a très peu de mise en scène, on ne matraque pas le spectateur avec des mouvements de caméra. Je pense que ce que j'écris trouve formidablement sa place au théâtre. Il y a des trucs dans
"Les côtelettes" que je n'oserais même pas faire au cinéma.

G. B. - Ah bon ! Lesquels ?
B. B. - Des trucs de théâtre, des clins d'oeil au boulevard. Et puis, il y a un côté guignol. L'autre jour, je me suis planqué dans la salle. Quand l'Algérien arrive, on entendait : "C'est le mari, c'est le mari"... Et une dame, à côté de moi, disait : "Y'a une trappe, t'as vu, y'a une trappe !". Au cinéma, on n'a pas ça. Y'a trop de bruit, les spectateurs sont assommés. On a le temps d'analyser les choses. Ça va moins vite. Ce qui est génial au théâtre, c'est que, quand les gens rient, on s'arrête. Alors qu'au cinéma, le train passe. Et puis, on ne sait jamais quand ils vont rire. Des fois, on est sur le cul de voir qu'ils se marrent à certains trucs...

G. B. - Vous vous planquiez aussi dans la salle pendant vos films ?
B. B. - Plus depuis longtemps. J'ai été traumatisé. Je me souviens d'un soir, au cinéma l'Ambassade, où était projeté "Calmos" . Pervers, j'étais resté planqué contre le mur quand les gens sortaient. A côté de moi, à 12 cm, il y un mec qui est passé et qui a dit : "J'aimerais bien connaître le con qui a tourné ce film !" Je n'y suis plus retourné depuis. Ça ne sert à rien, en plus. Le film est fini. Alors qu'au théâtre, on peut encore améliorer des choses.

G. B. - Si l'on en juge par vos personnages, il est beaucoup plus compliqué et bien moins confortable d'être un vieux con de gauche qu'un vieux con de droite.
B. B. - Bien sûr. D'ailleurs, il y a une réplique de Bouquet qui résume tout : "Moi, je m'en fous, je suis de droite". Quand on est de droite, on n'a pas de problème. On est toujours du bon côté, du côté du pognon, du pouvoir. Etre de gauche, par contre, c'est plus délicat. Le plus dur, c'est de le rester. Pas de s'embourgeoiser, garder au moins les convictions, qui font que, dans certaines occasions de la vie, on peut réagir d'une certaine manière. J'ai eu l'expérience avec mon père qui m'a élevé dans une tradition de gauche. Je l'ai vu, avec le temps, glisser tranquillement. Ça m'a impressionné. Mais c'est très répandu. Forcément, quand on devient un monsieur, qu'on est arrivé, une petite légion d'honneur, tout ça...

G. B. - On vieillit plus facilement à droite ?
B. B. - Intellectuellement, oui... Vous savez qu'en 81, quand Mitterrand a été élu, il y a des gens de gauche qui se sont évanouis. Des gens célèbres. Parce qu'ils avaient du pognon, des bagnoles... Aussi con que ça.

G. B. - Qui ?
B. B. - Ah, non, je ne peux pas vous donner des noms. Des gens très connus, des types très bien, sympas et tout. Mais bon... Ils se disaient : "Merde, il va falloir que j'achète une Renault..."
On vit dans un pays très marrant pour ça. Les intellectuels de gauche disent des trucs formidables. Mais, en randonnée à vélo dans le Lubéron, ils ont l'air un peu con. J'ai une maison dans le sud. Heureusement, elle n'est pas dans le Lubéron.

G. B. - Le personnage de Noiret, il n'est pas un peu autobiographique ?
B. B. - Oui, il y a plein de trucs. Politiquement, sur son glissement à droite, il reflète toutes les questions que peuvent se poser des gens comme moi. Mais comme il le dit au début : "Quand on se les pose, c'est déjà un commencement de réponse". Sauf que, lui, il se les pose un peu brutalement, un dimanche soir. Moi, je me les pose depuis longtemps.

G. B. - Vous jouez au golf ?
B. B. - Non.

G. B. - Au moins, ça, ce n'est pas autobiographique...
B. B. - J'y ai joué étant gamin avec mon père. Mais ce n'est pas possible, on rencontre trop de cons. Et puis ça prend un temps fou. Je ne fais rien d'ailleurs. Aucun sport.

G. B. - La réplique "Maintenant que la gauche est passée, on ne se laisse plus emmerder", vous y croyez ?
B. B. - Non, bien sûr que non. Ce qui est très marrant, c'est que j'ai écrit cette pièce avant les élections. Et elle ne se finissait pas du tout comme ça. C'était plutôt une pièce sur le désespoir des gens de gauche : "On va encore en prendre pour trente ans, avec des mecs comme Juppé..."
Et puis, il y a eu les élections. Ce gag énorme. Ma pièce était finie, programmée. Je me suis dit : quand même, il faut faire quelque chose ! Mais je ne savais pas comment réagir. J'ai eu le flash en rencontrant Micha Bayard qui joue la mort. Quand j'ai vu cette femme au casting, j'ai vu arriver la mort : elle était habillée comme dans la pièce, en noir, avec ce collier de perles... Alors je suis rentré chez moi et je me suis dit :
"Bon, Jospin plus elle... il faut réécrire la fin !". C'est une caricature de l'enthousiasme politique mais c'était marrant à faire.

A SUIVRE ! Suite de l'entretien

Gérard Biard © Charlie Hebdo/La Revue du Spectacle 10/97
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